La Préface de Tom Verdier
septembre 16th, 2017 Posted in octobre 2017
Peut-on encore avoir peur dans ces allées trop bien rangées? Le pouvoir peut-il encore trembler quand il dispose d'aperçus parfaitement fiables du futur ? |
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Le chaos dort sous l'ordre apparent, et plus on organise le monde, plus on s'approche de la prochaine faille, plus violent sera le nouveau séisme et plus il détruira tout ce que l'homme a construit.
Les digues quand elles cèdent font de plus grandes inondations, la bourse craque toujours plus violemment à mesure que les mathématiques la stabilisent : ce ne sont que des vétilles quand on songe au désastre que déverseraient en cédant les digues qu'on aurait érigées contre l'avenir.
Le Protocole Oracle est métaphysique.
Pendant que les magnats veulent croire qu'ils décident du monde en regardant le futur par le judas de leurs préoccupations mesquines, la presse libre, cette hydre humaniste qui ne s'occupe que du présent, n'a de cesse que la situation actuelle, quelle qu'elle soit, puisse être connue de tous. Son point de vue est simple: l'homme décide toujours bien, il suffit qu'il sache, c'est à dire que tout le monde sache. Mais c'est un exercice dangereux que d'arracher la vérité à cette réalité truquée en temps réel, plus dangereux encore est celui de la dire. La faire accepter confine au génie. Les vrais héros de cette histoire ne peuvent être que journalistes.
Le protocole Oracle est cyberpunk.
Très tôt ces enjeux sont posés, et dès cet instant, on n'est plus sûr de rien. Qui décide vraiment ? Qui manipule qui ? Le président de la Fédération, qui a le pouvoir de prendre et faire appliquer toutes les décisions ? N'est-ce pas le plus effrayé ? Ou les analystes, ces maillons indispensables entre les visions tumultueuses des Pythies sous DMT et la compréhension rationnelle des décideurs qui les interrogent en tremblant ? Ou les Oracles eux-mêmes ? Pourquoi se priveraient-ils de raconter ce qui leur chante ?
Enfin il y a ces intermèdes, cartoonesques à première vue, et dont j'attends beaucoup si ce scénario devient le film qu'il mérite d'être. Ces visions qui jalonnent l'histoire sans s'en mêler n'en sont-elles pas le fond ? Le spectacle enfin brut et sans interprétation d'une nature intemporelle, reflet de l'ordre cosmique jusque dans son absurdité, sage de tout temps, conscient, qui sait faire démonstration d'un sacrifice sans verser une larme ?
Toutes ces questions restent heureusement presque sans réponses, tous les personnages ont de fait le pouvoir puisque le moindre mot, le moindre geste de chacun met en branle le destin dans des proportions jamais vues.
Mais bien malin qui saura décider lesquelles ont fait consciemment l'exercice de leur pouvoir dans ce jeu ou tout le monde devra sacrifier au moins une pièce. On peut lire ce livre trois fois, dix fois et décider chaque fois qu'un personnage différent manipule tous les autres : l'histoire sera différente à chaque lecture sans qu'aucune version ne soit plus vraie qu'une autre.
Les flux se croisent, cherchent à se heurter mais ricochent invariablement; l'information, la propagande, l'argent et le pouvoir officiel avancent leurs pièces de plus en plus vite, jouent les uns contre les autres mais participent au même jeu. Parce que dans le fond il n'y a qu'une ligne de démarcation : taire ou dire tout ou partie de ce qu'on sait.
Alors tout le monde choisit son camp mais la frontière est reconnue par tous les joueurs et c'est bien sûr dans ce seul consensus que se trouve tout l'enjeu : s'il faut mentir au peuple pour le garder sous contrôle, c'est qu'aussi confit qu'il soit de son illusion de pouvoir personnel, aucun dictateur, aucun magnat, nul être enfin ne doute au plus profond de lui-même que son pouvoir ne tient qu'à un fil, que ce fil est un tissu de mensonges et que rien n'est plus fragile : il suffit d'une seule vérité pour tous les trancher. Le Protocole Oracle est plein d'espoir. Et cyberpunk, décidément.
Du fond des années 50, les premières heures de la science-fiction situaient volontiers le futur à l'entour de 2010. Le Protocole Oracle n'a plus besoin de tels atermoiements. La science-fiction est notre réalité et nul n'en doute plus. Il n'y a plus de futur et plus besoin d'Oracle. Il n'en fut jamais autrement mais l'humanité en prend enfin conscience : il n'y a qu'Ici et Maintenant!
Tom Verdier
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